Prix FEMS | Peinture | 1999

Zivo (Zivoslav) Ivanovic

Peinture

«Je veux peindre ma poésie!» C’est avec ces mots, et ses deux compagnons de création – l’âne et l’oiseau – que le peintre Zivo a su convaincre le jury du prix FEMS de le laisser chercher en lui, durant une année, l’expression picturale de sa poésie intime. Guidé par ses deux animaux fétiches, il nous offre un long poème pictural à la sémiotique complexe, dans lequel se croisent des fragments de titres, des lignes, des amas de matière, la toile brute, et où les silhouettes allusives d’ânes et d’oiseaux semblent incarner les drames et les beautés du monde. Et parfois, l’oiseau, comme lesté par la matière picturale, s’ancre dans la toile, alors que l’âne devenu papillon, conquiert une forme de légèreté.

Zivo Ivanovic

Zivo (Zivoslav Ivanovic) est né en 1960 à Belgrade. Peintre, graveur, installationniste et performer, il réside et travaille à Lausanne.

  • 1963 : Arrive en Suisse avec ses parents qui s’installent à Yverdon
  • 1968-1971 : Déménage successivement à Grandson, Montana (VS) et Cossonay
  • 1972 : Arrive à Lausanne au foyer du Servan
  • 1982 : Obtient un CFC de technicien dentiste
  • 1984-1988 : Suit régulièrement les stages de l’atelier de travail théâtral ATT
  • 1988 : Découvre et s’initie à la peinture à Barcelone lors d’un séjour de 2 semaines
  • 1990 : Atelier au Flon
  • 1991 : Mariage, naissance de son fils
  • 1992 : Découvre et s’initie aux techniques de gravure à l’atelier Aquaforte à Lausanne
  • 1994 : Visite la Yougoslavie avec son fils
  • Met en espace une création théâtrale : Boules de pensées, fragments de textes autour de la solitude. Auteurs : Prévert, Perec, Pessoa, Arrabal, Dürrenmatt, Jodorowsky
  • 1996 : Aménagement de son nouvel atelier
  • 1997 : Devient membre actif de la société des peintres sculpteurs (SPSAS Vaud)
  • Actuellement : vit et travaille à Lausanne, continue de fréquenter l’atelier Aquaforte

  • 1990 : Défilez tableaux !!!
  • 1991 : Action painting aux Ateliers 37 à Lausanne
  • 1993 : Galerie Espace Flon à Lausanne
  • 1994 : Squatt au Clos de Versailles à Cully / « Récréation »
  • Spazio XXI à Bellinzona « L’anima a nudo »
  • Family house studio à Vienne (F)
  • 1995 : Galerie Regard à Genève/ « Mal de lune »
  • 1996 : Galerie Payer à Zürich/ « Vues d’esprit »
  • 1994 : Le REZ au palais de Rumine à Lausanne /Exposition
  • Manifeste « CHAISES » atelier-action au Théâtre de l’Arsenic à Lausanne dans le cadre du festival des jeunes créateurs « LES URBAINES »

  • 1991 : Galerie Espace Flon Lausanne
  • 1994 : Galerie Espace Flon Lausanne/ « Frise »
  • 1995 : 5e Biennale des Printemps des arts plastiques en Limousin (F)
  • 1995 : Villes de Guéret et de Limoges, avec l’association « Poisson d’or »/ « J’ai descendu dans mon jardin… »
  • 1996 : Ville de Genève avec le Galerie Regard
  • 1996 : « La création enfantine à la rencontre de l’art contemporain »
  • 1997 : L’étage (Centre d’Art contemporain), Pont-l’Evêque (F)/ « gravure à nu »

  • Musée National de Yougoslavie (Belgrade)
  • Atelier Sul Mare à Castel di Tusa (Sicile) : collection Antonio Presti
  • Musée d’Art moderne de Milazzo (Sicile)
  • Fondation Arp (Muralto/Ticino)
  • Nestlé
  • Banque Cantonale Vaudoise
  • Cabinet Cantonal des estampes, Musée Jenish à Vevey

Des passages Âne – Oiseau

Le projet que je propose aujourd’hui, j’en ai sans doute tracé les premières lignes, sans le savoir, dès ma naissance, lors de mon premier cri. Je veux dire par là que mes origines, physiques, géographiques, me poussent depuis toujours, et notamment depuis plus de dix ans, à chercher à extraire de moi-même, comme un paysan extrait la plante de sa terre, ce qu’on peut appeler l’âme qui m’anime, me dirige, me fait voir et approcher, aimer et parfois comprendre, interroger aussi, décrire souvent, le monde dans lequel je vis.

Ce projet, donc. En une phrase lancée à un ami qui passerait et me poserait la question, je pourrais dire : « Je veux peindre ma poésie ». Il pourrait trouver prétentieux cette propre appréciation de ma personne. Je lui répondrais alors que pour moi, chaque personne possède en elle sa propre poésie, mais ne veut, ne sait, ne peut pas toujours faire sa connaissance, prendre conscience de sa présence, et donc de sa valeur.

Peindre ma poésie ? Depuis une bonne décennie que je m’y emploie, je n’ai jamais cherché à privilégier un quelconque esthétisme qui m’aurait peut-être assuré les bonnes grâces d’un courant de pensée, ou d’une mode de passage. Mon souci est davantage d’entrer en communication avec celui qui regarde mon oeuvre : laisser la place à sa propre lecture de mon travail, laisser son imaginaire trouver là un terreau propice à la naissance d’une émotion, d’une opinion, d’une discussion.

Mes origines pourraient, en tant qu’artiste contemporain, me suggérer de délivrer dans mes oeuvres des convictions précises, des parti-pris, dans le but d’attirer l’autre, celui qui les regarde, dans un camp, dans mon camp. Mais quel est mon camp, si ce n’est celui de la liberté ?

Liberté, le mot peut vouloir tout dire et rater sa cible. La liberté, pour moi, c’est la tranquillité d’esprit de l’artiste qui ouvre les yeux sur le monde et donne à ce monde son travail tel un miroir. Etre libre, pour moi, c’est accueillir, dans mon atelier qui, avec les années, s’ancre doucement dans la terre lémanique, quiconque pourrait trouver plaisir à s’y arrêter. Pour parler, regarder, se taire, proposer, prendre, donner, et dans le fond, partager une création qui peut être, selon les jours, un accord subtil et furtif entre des paroles et des silences, ou un profond mariage entre des matières et des idées.

Peindre ma poésie ? A l’ami qui m’annoncerait que la Fondation Edouard et Maurice Sandoz me soutient pour mon projet, je pourrais dire : « Enfin, je vais pouvoir réaliser mes deux immenses toiles sur ces supports de lin qui laissent respirer et palpiter la peinture. Deux immenses toiles, mais aussi une constellation d’autres oeuvres, estampes, eaux-fortes, gravures, peintures (et tant de découvertes à faire), qui seraient autant de rencontres, de chemins, de sentiers empruntés au fil d’une année où pourrait éclater sans entraves le désir artistique. Où l’enfant que les humains laissent trop vite dépérir quand ils le transforment en adulte pour l’asseoir sur sa chaise de travail jusqu’à la retraite, où cet enfant dirait le drame et la beauté du monde qui l’a accueilli. » Voilà ce que je dirais à l’ami qui m’annoncerait cette nouvelle.

Drame et beauté ? Mes compagnons de création, depuis dix ans, sont l’âne et l’oiseau, principaux élus de mon bestiaire personnel. Réaliser une immense toile pour l’un, une immense toile pour l’autre. Deux allégories. L’âne est ambigu, à la fois porteur de la connaissance, de l’érudition, de l’héritage culturel solide de nos ancêtres. Mais il est aussi le reflet de la lourdeur, du drame de l’immobilisme, de la douleur cachée et tue, de la brimade, de la force qu’on fait plier, de l’idiot mis à l’écart, du soldat écrasé.

Puis l’oiseau, léger, qui tient dans ses plumes la douceur de l’espoir, de l’envol encore autorisé, du plaisir aérien; il suscite l’envol, la connaissance, le désir de rencontres, de regards, d’amour. Il n’y a pas dans ma présentation de mes deux « compagnons » la volonté d’étaler une quelconque culture, puisque le milieu de mon enfance, défavorisé comme on dit, ne m’en a fourni aucune que l’on puisse qualifier de traditionnelle ou classique. Mais précisément, hors sentiers très battus, nanti d’une double origine, je ne me suis jamais retrouvé isolé, et c’est pourquoi je ne ressens pas le besoin, aujourd’hui, de m’enfermer pour créer. Avec mon fils alors âgé de trois ans, je suis reparti dans la province où vécurent mes parents, et où j’ai passé les trois premières années de ma vie. Nous avons croisé l’exode dans des paysages somptueux, le drame côtoyant la beauté, l’âne frôlant l’oiseau.

Le voilà, mon rêve : exprimer sans maniérisme ni complaisance, sans esthétisme ou prosélytisme, avec passion, avec force, et dans la liberté de créer, donc de respirer et de comprendre, chaque jour de cette « année du Prix FEMS », le monde qui me fascine et me trouble, me bouscule et m’élève, me réduit et me coupe le souffle avant de me ramener à mes toiles, ma cire chaude, mon aquarelle, qui me donnent alors leur vision à elles de ce qui m’a pénétré.

Qui serai-je, qui serais-je, après une année liée à la Fondation Edouard & Maurice Sandoz ? Un homme qui aura eu le droit de chercher en lui, peut-être au nom d’autres hommes moins libres, la chaleur de son âme, et celle, peut-être, de son art. Oui, j’aurai sans doute basculé, alors, dans le monde des privilégiés qui ont eu la possibilité d’approcher leur conscience, la source de leurs sensations, et de les traduire concrètement pour les offrir au regard de l’autre. L’autre ? Un passant, comme l’artiste, aussi fort et fragile que celui qui ose, un jour, s’arrêter dans l’atelier du peintre et lui dire : « Je peux rester auprès de vous ? »

Les anciens nous racontent le passé et nous stimulent, nous offrent le rêve. A nous d’ouvrir le futur en passant le siècle. Partons à la recherche des traces du futur.